Mme Millat habitait pour l'été 1944 chemin du Ruisseau-Doré à Sainte-Gemmes, son père ayant souhaité mettre sa famille à l'abri. Elle raconte les évènements qui ont bouleversé sa vie d'adolescente.

Le 8 août 1944 vers 15 heures, il faisait beau et chaud. Mes parents et mes deux frères Claude 7 ans et Gérard 2 ans, faisaient la sieste. Moi, j'allais bientôt avoir 15 ans. Je décidai d'aller chez les Planchenault qui habitaient la ferme à côté de la maison de mon grand-père. Il était facile de passer d'une maison à l'autre car il n'y avait pas de barrière ni clôture. Les parcelles de terre étaient plantées de poiriers.

En arrivant auprès des poiriers, un spectacle me cloua sur place : des choses d'une couleur indéfinissable rampaient vers moi ! En courant, je repars vers la ferme et crie : "Il y a des crocodiles dans les poiriers !"

Alertés par mes cris, les Planchenault, les Leclerc, les Joly, soit une dizaine de personnes se rassemblent dans la cour. 

Au sol, toujours rampant, des hommes au visage noir (barbouillés ou noirs de peau), en tenue de camouflage, s'avancent vers nous, fusil devant eux. Allemands ou américains ? Les militaires se mettent debout et nous montrent une carte d'état-major en criant "Allemands ? Allemands ? Deutsche ?". Des Américains ! Combien étaient-ils ? Peut-être vingt ou trente. 

L'un d'eux se met à genoux et déplie sa carte. Nous nous penchons pour lui indiquer où sont les Allemands, sur la butte en face, chez Beaujean. 

Soudain, une rafale de mitraillette passe au-dessus de nos têtes, nous nous jetons à terre. Une seconde salve, sans doute des balles incendiaires, mettent le feu au "paillier" et aux clapiers. Je me retrouve tout à coup dans les bras d'un grand G.I. noir ou grimé, le casque recouvert de feuilles ! Mes amies prises en charge également, nous sommes transportées de l'autre côté de la route chez Mme Chauvin, une grainetière.

Les armes continuent de crépiter de part et d'autre. 

Il est environ 20 heures quand un bruit infernal se fait entendre, tout ce qui est accroché au mur tombe à terre, puis un grand silence se fait. Nous saurons par la suite que c'était un char américain qui, par le pont de l'Anjou, le pont de Pruniers, avait passé la Maine. Les Allemands ne pensaient pas qu'un char pouvait passer par là, le pont était donc miné mais peu surveillé. 

Dans la ferme, des pâtés aux prunes finissent de cuire. Quelle aubaine pour ces soldats fatigués ! 

Soudain, mauvaise nouvelle. L'avancée ayant été trop rapide, un ordre de repli est lancé. Les Américains nous font traverser la route, courbés, presque couchés. Le char que j'ai bien vu, repart en marche arrière dans le petit chemin du Ruisseau-Doré. On me ramène chez mes parents. Je les retrouve très inquiets mais heureux. 

Nous sommes tous inquiets : reste-t-il des Allemands sur la butte ? Nous ont-ils vus sympathiser avec les Américains ? Papa, avec de bonnes volontés, les Beaujean et les Planchenault, avait aménagé un retranchement dans un collecteur d'égouts qui reliait une mare au ruisseau. C'était un abri de fortune fermé par des traverses de chemin de fer, camouflé avec des plantes du ruisseau lourdes et difficiles à  manipuler. 

Papa avait participé à l'occupation de l'Allemagne en 1920 et avait tenu le raisonnement suivant :

Cette nuit, les Allemands nous voyant sans protection vont, soit mettre le feu aux maisons avec nous dedans, soit battre en retraite (ils étaient de  moins en moins nombreux), mais s'ils s'aperçoivent que nous sommes dans le tunnel, ils vont nous envoyer une grenade, ils vont passer au-dessus de nous sans nous voir et il faudra attendre le calme pour sortir. 

Le temps est long, pas un bruit. Soudain, le bruit des bottes se fait entendre, pas très rythmé mais si intense. Dans le noir nous tenons la main de notre voisin et à la grâce de Dieu, même pour les non-croyants ! 

Après un moment, nous sortons de notre trou. Papa dit : "Puisqu'ici c'est dangereux, rentrons chez nous, chemin de la Béjonnière à Angers, près de la rue de Frémur".

Arrivés à la butte de Frémur, des tirs se font entendre (sur la butte de Frémur, il y a d'ailleurs eu longtemps des éclats). Tout le monde se jette dans le fossé. Les Allemands et les Américains se tirent dessus. Ils ont dû faire une halte pour la nuit.

Les Américains se sont ensuite dirigés vers les vignes et ont trouvé beaucoup d'Allemands morts. Il s'est dit ensuite que les Américains ont achevé les blessés, mais je ne peux l'assurer. Les Américains nous ont ensuite fait signe de rejoindre les Béjonnières. Papa pensait que nous serions à I'abri à Sainte-Gemmes, c'est chez nous qu'il aurait fallu rester !


  • L'ancien pont suspendu de Bouchemaine fut dynamité par 1es Allemands le 8 août1944.
  • Le pont du Petit-Anjou fut épargné par les bombardements et cela permit aux troupes américaines de franchir la Maine pour aller libérer la ville d'Angers.
  • Le pont de chemin de fer, grande ligne de Bouchemaine, a été détruit par les forteresses Volantes le 8 juillet 1944.
Marie Hladik
avec la collaboration
de Brigitte Courtois association HCLM


Sources :

  • Écrits de Gilberte Blanchard
  • Souvenirs de Simone Khouelef-Panchèvre
  • Souvenirs d'enfance de la Seconde Guerre mondiale - Piene Bonnelle
  • "Bouchemaine occupée" –HCLM n° 59 - Marie-Louise Triollet
  • Souvenirs et écrits de Mme Millat